Souvenez-vous…. 1995, Campagne officielle de l’élection présidentielle. Des spots télé. Un générique. Magnifique. Compositeur inconnu.
Ce n’est que bien plus tard que j’ai su qui était le talentueux inconnu. René Aubry. Musicien autodidacte, bidouilleur de sons, son nom n’est pas très connu, mais vous connaissez forcément sa musique. Télés et radios en sont friandes pour les génériques de leurs émissions.
"Ce musicien évoluant hors de toute chapelle célèbre ses dix ans sur scène ce soir aux Bouffes du Nord, à Paris.
René Aubry bricole ses mélodies loin du bruit…
Carolyn Carlson
En 1998, il remporte une Victoire de la musique classique. René Aubry compose "Signes", un ballet que Carolyn Carlson crée à l'Opéra Bastille en 1997. C'est un succès retentissant et l'album obtient même une consécration l'année suivante: la Victoire de la musique classique dans la catégorie "production chorégraphique en France". A la suite de cette reconnaissance, René Aubry se retrouve arbitrairement assimilé à un musicien "classique", rangé chez les disquaires parmi les contemporains, entre John Adams et Pierre Boulez : "C'est étrange, s'amuse-t-il. Je ne me sens pas comparable à eux. Je n'ai pas cette prétention. Je n'avais qu'un disque de Bach à la maison quand j'étais enfant. Au fond, je fais des petites chansons sans paroles."
Sous sa longue chevelure déjà blanchie, à 54 ans, sous ses sourires de père de famille visiblement épanoui, René Aubry est un casse-tête pour marchands de disques ! Où ranger l'oeuvre abondante de cet inclassable ? Déjà 16 albums depuis 1983, avec leurs titres à relief poétique : Steppe, Après la pluie, Invités sur la terre, Mémoire du futur ou Play Time. En 2009, il a aussi enregistré un livre-disque pour enfants, d'après Le Roi penché, de Marie Desplechin.
Ce vosgien d'origine a planté son univers d'artisan en mélodies dans un pavillon parisien à deux pas du Père-La Chaise. C'est là qu'il construit un imaginaire de notes presque sans paroles. A ce quasi-anonyme on doit quelques "tubes" popularisés par la radio et la télévision; les génériques de l'ancienne émission de Mireille Dumas Bas les masques, de Savoir plus santé, de bon nombre d'émissions de France Inter. On entend aussi les envolées de ses cordes (guitare, banjo, mandoline, bouzouki) sur FIP ou dans des reportages d'actualité.
Mais depuis ses débuts en 1979, René Aubry signe surtout des musiques de ballets, conçues en particulier pour Carolyn Carlson, qui lui permit de se révéler, il y a trente ans. Il fut plusieurs années son compagnon, à Paris puis à Venise, et il collabore toujours avec elle. "C'est une rencontre, un amour que je n'aurais osé espérer. Elle m'a ouvert aux musiques alternatives et c'est à ses côtés que j'ai commencé à me sentir compositeur. J'habitais une piaule à Vincennes où je faisais des maquettes. Elle trouvait ça superbe. Elle m'a donné l'audace..." Une foule de petites pièces suivront, certaines reprises par d'autres éminentes chorégraphes: Pina Bausch, Marie-Claude Pietragalla. Ou des compositions pour le marionnettiste Philippe Genty. Sans oublier les musiques de films: La Croisade des enfants, Killer Kid, Malabar Princess ou Sous les bombes, dont il est "le plus fier", concède-t-il, avant de lâcher que "les meilleurs films sont silencieux" et qu'il est "revenu de ce genre qui implique de travailler vite". Trop contraignant pour lui qui se serait bien vu "luthier ou ébéniste".
Où classer cet admirateur de Philip Glass, Leonard Cohen ou Mario Hadjidakis ? Au rayon simplicité sans doute, la même qui caractérise les dessins de Lorenzo Mattoti qui illustrent ses disques. Le mot colle à l'oeuvre de ce bricoleur, dont l'aventure a commencé quand, étudiant, il rejoint à Paris son frère de cinq ans son aîné: " Serge jouait dans un groupe inspiré par François Béranger, Catherine Ribeiro, Jacques Higelin. Lui était du genre touche à tout. Je me sentais plus laborieux. ..." Attiré tout de même par le monde artistique, René Aubry se retrouve régisseur au Théâtre de l'Est Parisien puis croise la route de Carolyn Carlson, à l'Opéra de Paris. Il devient son accessoiriste avant de jouer sa musique sur scène, à 22 ans, pour elle aux Bouffes du Nord. Et à 26 ans, il sort son premier disque, en dépôt-vente à la Fnac. "Ils l'ont mis au rayon New Age et, très vite, il s'est vendu. Je me trouvais génial alors!" Humble tout de même. On le conçoit en entendant son étonnant aveu : "Je ne sais pas lire la musique!" Surprise. "Je suis autodidacte, j'ai appris la guitare en écoutant les disques de Steve Waring et de Marcel Dadi. Au fond, j'aime dire que je fabrique ma musique avec mes mains..."
Aujourd'hui, René Aubry joue sur scène, en formation septette. "J'ai donné un concert à Bari, en Italie, en 1999, invité par un festival. Je n'ai plus eu qu'une envie : remettre ça !" Depuis, il triomphe en Allemagne, en Grèce, en Italie, en Espagne. Mais il peine à trouver des dates en France où décidément, on n'aime guère les inclassables : "Je n'ai jamais fait un festival d'été ici. La presse me dit discret, mais ma rareté n'est pas un choix : si on m'invite, je viens." Ce sera le cas…aux Bouffes du Nord, la salle où il débuta. Il y a trente ans déjà.ʺ
Jean-Yves Dana - La Croix, 19/04/2010
En préparant l'illustration sonore de ce post, j'ai été bien en peine de choisir un morceau plutôt qu'un autre. Alors j'ai mis l'ensemble de l'oeuvre ! Au fait, cherchez "Avant la pluie (part II)". Vous connaissez forcément cette musique !
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